présentation du programme de géographie - 2021/2022

Le programme de géographie portera cette année sur une question de géographie régionale

 

«  les États-Unis d'Amérique  »

 

Pour cerner les limites du sujet, son ampleur et ses problématiques, il faut se référer  à la lettre de cadrage fournie par le jury de l'ENS de lyon:

 

 " Plusieurs publications de synthèse en langue française ont récemment renouvelé les problématiques concernant les États-Unis d’Amérique, dont l’étude est toujours bien présente dans les programmes de l’enseignement secondaire.

Gérald Billard a dirigé une Géographie et géopolitique des États-Unis en 2012 (Initial, Hatier) et Frédéric Leriche a publié en 2016 Les États-Unis. Géographie d’une grande puissance (Collection U, Colin). Enfin, en 2021, Christian Montes et Pascale Nédelec sont les auteurs d’un Atlas des États-Unis, Un colosse aux pieds d’argile (Autrement.

 

En choisissant le thème des États-Unis d’Amérique comme question de géographie des territoires, le jury invite les candidats à une approche multiscalaire, démarche usuelle du géographe qui se prête particulièrement bien à l’étude d’un pays qui ne saurait se comprendre sans aborder son rôle mondial, la cohésion d’une nation faites de multiples facettes et, jusqu’à une échelle très fine, les dynamiques et déséquilibres de ses territoires.

 

Hyperpuissance ?

Il ne s’agit bien évidemment pas d’étudier dans le détail ni l’économie ni la présence et l’influence des États-Unis partout dans le monde mais de comprendre et discuter les fondements de la puissance d’un pays moteur de la mondialisation, qui repose sur un ensemble de « pouvoirs » de nature différentes que Joseph Nye a théorisé sous les qualificatifs de hard et de soft power

 

.Cette puissance est aujourd’hui ébranlée par une contestation externe multiforme (Al Qaïda et Daech, la Chine de Xi-Jiping, critique des GAFAM etc.) L’ « American Way of Life », est devenu un « modèle » contesté, sur le plan culturel, politique et environnemental. Les dépendances s’accroissent. La dépendance énergétique est certes atténuée par l’exploitation de nouvelles ressources (fracking) ou la reprise d’une politique pro-charbon sous la présidence Trump mais au prix d’impacts environnementaux désastreux. La dette américaine est colossale depuis la guerre du Vietnam et le déficit commercial est désormais chronique, envers le Japon dans les années 1980, envers la Chine aujourd’hui.

 

Enfin, la puissance américaine souffre de fragilités internes, qui sont en quelque sorte, pour les populations du monde entier que le pays attire, l’envers du décor du rêve américain.

 

Le melting pot américain en question

Le jury attend que soient étudiées les dynamiques démographiques et sociétales de la Nation américaine.

 

Dans un pays construit par les migrations, la question « raciale » est fondamentale. On pense notamment, mais pas exclusivement, à la question des « Natives », à la situation des Afro-Américains (mouvement Black Lives Matter, racisme structurel et historique qui a cantonné les Noirs aux territoires les plus dévalorisés et maintient une situation d’inégalité très forte, criminalisation des Afro-Américains qui participe à leur surreprésentation dans la population carcérale, enjeu de leur représentation politique), à la place prise par les Hispaniques (ils sont devenus la minorité majoritaire dans plusieurs métropoles). Les figures de maires de grandes villes issus de l’immigration (San Francisco, Miami, etc.) ont joué un rôle important dans la visibilisation de ces populations.

 

Comprendre la société américaine nécessite la prise en compte de l’évolution des politiques migratoires et leurs effets induits. Cela ne saurait se limiter à une question de murs à la frontière mexicaine... Les migrants ne sont pas seulement dans les grandes villes, New York, Los Angeles, Chicago (école de sociologie de Chicago, modèle de Burgess), mais aussi dans les villes du Sud comme Atlanta où l’on ne peut plus raisonner en Noir (anciens esclaves) et Blanc (les Sudistes racistes pro-Trump) du fait de la présence croissante de minorités hispaniques.

 

On interrogera aussi la place des migrants asiatiques, surtout dans les villes de l’Ouest, mais pas uniquement. Chinois (Chinatowns dans beaucoup de villes américaines), Coréens (Koreatown récente et spectaculaire à Los Angeles), Philippins (quasiment aucune marque spatiale bien que l’une des principales sources de migration asiatique vers les USA). La nouvelle vice-présidente Kamala Harris incarne l’importance sociale et économique croissante de la minorité indienne (de l’Inde), la plus riche et la plus éduquée de tous les groupes ethniques aux USA.

 

Les actes racistes envers les Asiatiques, qui ont connu une recrudescence dans le contexte de la pandémie de coronavirus (« chinese virus » selon D. Trump), envers les Noirs etc. posent la question de la mixité ethnique, entre quartiers d’extrême diversité et à l’inverse ghettos noirs, barrios hispaniques, et enclaves blanches ultra-protégées. Les politiques d’« affirmative action » (discrimination positive) et de « busing » (déségrégation scolaire) des années 1960 ont reculé face au repli sur soi.

 

Les dynamiques démographiques de la société américaine sont également marquées par une fécondité qui décline moins qu’en Europe ou en Asie orientale. Si le vieillissement de la population est moins marqué, la mortalité est en revanche un peu plus élevée (malbouffe, obésité... et coût exorbitant des soins ou des assurances médicales). La société américaine est surtout caractérisée par de profondes inégalités.

 

Enfin, la question du logement est importante : suite à la crise des subprimes de 2008, elle a été abordée sous l’angle de la financiarisation et de l’effondrement de la bulle immobilière, mais la question des suites de la crise se pose toujours car plus de 300 000 maisons individuelles ont été achetées par des investisseurs institutionnels (notamment le groupe Blackstone) et mises en location, avec une gestion locative souvent déshumanisée (locataires sélectionnés par des algorithmes, maintenance minimale, expulsions systématiques). Plus généralement, cela pose la question des conditions d’accès au rêve américain de la propriété privée, alors que tous n’ont pas le même accès au crédit immobilier (discriminations raciales notamment) et que les expulsions se multiplient, notamment sous l’effet de la crise économique liée au coronavirus. Le coronavirus permet d’ailleurs d’évoquer les inégalités de santé, particulièrement aiguës pour un pays développé, et plus généralement d’accès aux services.

 

Dynamiques territoriales

Il ne s’agira pas d’étudier en économiste et dans le détail les différents secteurs de l’appareil productif américain mais de privilégier l’entrée par les notions de système productif et de dynamiques territoriales. On s’interrogera par exemple sur l’héritage de la conquête pionnière, notamment la mise en valeur extensive du territoire, l’appropriation, au nom de la liberté d’entreprendre, des ressources naturelles (minerais, pétrole, eau), qui engendre des conflits entre « natives » et grandes entreprises ou bien encore sur le rôle économique, touristique, culturel, identitaire et le fonctionnement des réserves naturelles et parcs nationaux.

 

On interrogera les forts déséquilibres territoriaux entre la Megalopolis et la région des Grands Lacs, la ceinture périphérique en fort essor et les territoires en marge (Alaska, Hawaï et marges « centrales » des grandes plaines)

 

On a longtemps opposé déclin urbain/ renaissance urbaine, en lien avec la désindustrialisation (exemple de Detroit, « shrinking city » avec son « renaissance Center », bloc de gratte-ciel autour du siège social de General Motors, au milieu d’une ville vidée de ses habitants partis en banlieue, d’abord les Blancs puis la classe moyenne noire, ne laissant qu’un paysage de maison abandonnées et de squats). La notion de gentrification et de « revanchist city » (Neil Smith à propos de New York) correspondent davantage à la situation contemporaine des grandes villes du Nord-Est.

 

Plus largement, on assiste à la remise en question des modèles urbains : villes du Nord en déclin vs villes du Sud en croissance ; centres paupérisés vs suburbs aisées et étalement urbain ne sont plus des dichotomies si évidentes, comme le montrent les recherches récentes sur le déclin et la diversification sociale et raciale des suburbs. Les limites de l’étalement urbain sont soulignées de façon croissante, pour des raisons écologiques mais aussi économiques (allongement des temps de trajets et congestion routière), ce qui entraîne un "retour au centre" dans certaines villes comme Houston, où la gentrification récente de quartiers proches du centre est alimentée par un retour au centre des jeunes cadres. Il ne faut enfin pas négliger le rôle des petites villes, souvent éclipsées par les grandes métropoles mais qui constituent l’Amérique moyenne.

 

A côté des problématiques déjà anciennes de régénération urbaine des espaces portuaires, (waterfronts des villes portuaires maritimes ou fluviales), la « disneyfication » offre une autre approche de l’espace urbain aux États-Unis, comme on le voit à Las Vegas ou encore à La Nouvelle Orléans, mais aussi dans d’autres villes, avec le développement des parcs d’attractions qui attirent non seulement les touristes mais aussi les centres de congrès et les pôles d’affaires secondaires, du fait de l’abondance d’offre hôtelière. La «disneyfication » de cet espace urbain s’accompagne aussi une privatisation croissante de l’espace public, avec un contrôle social accru (gardes, des polices privées, des caméras de surveillance). Ces évolutions contribuent à un décentrement de la ville, avec multiplication des « edge cities » qui sont autant de pôles secondaires d’organisation de l’espace urbain.

 

Les minorités sont souvent dans les zones à risques ou dépourvus d’aménités ; secteurs inondables, proximité des trajectoires de décollage ou atterrissages d’aéroports, usines dangereuses, comme l’ont révélé des catastrophes comme celle de l’ouragan Katrina à la Nouvelle-Orléans en 2005. On pourra rattacher cette thématique de l’injustice environnementale à l’ensemble plus vaste exclusion/ségrégation, à mettre en regard de la recherche d’aménités paysagères des populations plus favorisées (« white privilege »), et plus mobiles. Cela débouche sur la question plus politique de gestion des aires métropolitaines entre regroupements et fragmentations/sécessions de communes.

 

Si la métropolisation est à l’œuvre aux USA comme ailleurs, il ne faut pas oublier pour ce pays de près de 10 millions de kilomètres carrés, l’importance des espaces ruraux. Qu’est-ce que la ruralité dans le contexte nord-américain ? Le dépeuplement des espaces ruraux du Middle West et des Grandes Plaines est indéniable mais les espaces vides ne sont pas nécessairement des espaces de déprise économique quand ils abritent par exemple de grands complexes d’élevage bovin ou qui recherchent de l’isolement spatial pour ne pas incommoder les habitants avec les odeurs de gigantesques cheptels. Les paysages ruraux évoluent, au gré des recompositions de l’agriculture, entre renforcement de l’agrobusiness et remise en question pour des raisons écologiques, sans oublier le développement de l’agriculture urbaine, qui ne pourra toutefois pas être la solution à tous les problèmes.

 

La question des transports et des mobilités, essentielle pour la compréhension de l’espace américain, se décline à plusieurs échelles. L’expansion des aires métropolitaines avec des rayons de mouvement pendulaires qui s’étirent, les nouvelles formes de l’expansion urbaine (Gated communities, Banlieues-golf, Shopping centers géants etc.) accroissent la dépendance automobile et engendrent un « spatial mismatch » (les emplois sont là où ceux qui n’ont pas de voiture ne peuvent pas aller). Sans parler de leurs conséquences sur la santé (obésité, pollution de l’air) et les ressources (carburants, dans un contexte de pic pétrolier qui se rapproche). Mais en même temps, y compris au Texas, on voit se développer depuis 15-20 ans des réseaux de tramways et de métros, qui témoignent d’une prise de conscience environnementale par les gestionnaires de certaines villes.

 

A l’échelle du pays, on ne peut ignorer le rôle du transport aérien. Même s’il progresse désormais plus rapidement en Chine, le transport aérien aux États-Unis reste le plus important du monde. Il faut distinguer hubs intérieurs et gateways internationales, souligner le rôle des transporteurs aériens de fret UPS (Louisville) ou Fedex (Memphis, Indianapolis) et discuter le concept d’aerotropolispopularisé par John Kasarda, qui pense que « les aéroports dessineront le développement urbain et l'implantation des entreprises au XXIe siècle comme l'ont fait les autoroutes au XXe, les chemins de fer au XIXe et les ports au XVIIIe siècle ».